Je suis Ange Gardien du RES à Madagascar depuis une petite dizaine d’années. Mon rôle est d’être responsable, tout au long de l’année, de plusieurs centres missionnaires soutenus par le RES. Écoute des besoins exprimés par les sœurs, suivi des programmes d’aides (Lait, médicaments, nourriture, financements), soutien moral et prière. L’Ange Gardien s’engage à visiter régulièrement, à ses frais, ses centres pour renforcer la relation et mieux se rendre compte sur le terrain de leur situation, leurs difficultés mais aussi toucher du doigt, grâce aux sœurs, la pauvreté. Il peut ainsi témoigner à son retour, non seulement de la réalité de la vie des plus pauvres mais surtout du travail des sœurs qui sont le visage du Christ pour ses plus petits.
Après 4 années d’absence du fait de la pandémie mondiale et de l’arrêt des vols internationaux sur l’île, nous décidons de réaliser la visite 2023 en famille, à l’occasion de nos 23 premières années de mariage, n’ayant pu fêter dignement notre jubilé de 20 ans.
Nous concoctons donc un voyage familial mélangeant tourisme (ce que je n’avais jamais eu le temps de faire, le consacrant à visiter le plus possible de centres) et rencontres fraternelles avec les sœurs. C’est une chance donnée à mes enfants de pouvoir ainsi voir deux facettes de Madagascar: la très grande pauvreté de sa population mais aussi la richesse de sa culture, de ses ressources et de ses paysages.
A l’heure où mes enfants basculent dans la vie adulte, ils peuvent se rendre compte personnellement de la chance qu’ils ont d’être aimés, instruits, nourris et soignés, mais aussi de constater que chacun, à sa mesure, est appelé à contribuer au bien commun, jusqu’à y consacrer sa vie, comme les soeurs.
C’est ainsi que nous sommes acceuillis, ma femme Diane et moi, ainsi que nos trois enfants, Hugo (20 ans), Arthur (18 ans) et Amicie (13 ans) par des soeurs très heureuses de rencontrer la famille de “Monsieur Gérald”.
Notre première visite est le centre principal des Carmélites de Sainte Thérèse de Turin. Situé à Ilanivato, dans la banlieue de Tana, le centre se dresse sur une petite colline, au milieu du village, surplombant les bidonvilles de la ville basse. La misère nous saute au visage. Misère crasse et violente des villes. Rues bondées, jonchées de détritus, dont les trottoirs sont occupés par des échoppes innombrables et temporaires et des vendeurs à la sauvette. Embouteillages monstres de véhicules d’occasion importés d’Europe à la carburation défaillante.
Ici, les Carmélites ont bâti une grande école d’un excellent niveau qui accueille tous les enfants pauvres. Dans des locaux à côté, le dispensaire et le “cabinet de dentisterie” soignent gratuitement les nombreux malades qui viennent chaque jour. Le centre a également développé une formation professionnelle de “coupe et couture” pour les jeunes filles. Enfin, les sœurs participent à la vie paroissiale, en très bonne collaboration avec le curé, et animent la catéchèse avec des laïcs.
Dans un long échange, Soeur Marie des Anges, nouvelle Déléguée de la Mère supérieure pour Madagascar et le Centrafrique, m’expose sa vision pour les années à venir:
Tout d’abord, renforcer la formation spirituelle initiale et tout au long de leur vie pour “être avant tout des femmes de prière”
Également, renforcer les moyens de subsistance des communautés en développant l’agriculture et l’élevage, face à la baisse attendue et déjà constatée de la solidarité internationale, mais aussi face aux “persécutions” fiscales de l’Etat Malgache. Dans chaque communauté, nous remarquons le développement de petits potagers. La Congrégation recherche un terrain à Antsirabé, “grenier de Madagascar” pour y implanter un immense potager capable de subvenir aux besoins de toutes les communautés de l’île.
Nous visitons différents centres des Carmélites qui mettent en œuvre la Charité au quotidien: A Befalatanana, au cœur de la capitale, des sœurs infirmières soignent les malades à l’hôpital public malgré la pénurie criante de moyens et de médicaments. A côté, Soeur Ermelline, pionnière missionnaire italienne de 92 ans, continue de former des femmes sorties de la rue à l’art de la broderie: nappes, chemin de table, serviettes, draps… (N’hésitez pas à commander auprès d’elle des trésors artisanaux malgaches de grande qualité)
A Ambiatibe, à 2h au nord de Tana, au sein du sanctuaire dédié au Saint Jacques Berthieu, jésuite français martyrisé lors des guerres coloniales, les sœurs tiennent une école et un dispensaire pour la population locale. A Antsirabé, à la limite entre les hautes terres et la forêt tropicale côtière, juste à l’écart de la route touristique des lémuriens, les sœurs font tourner tant bien que mal une école délabrée qui manque cruellement d’ordinateurs pour assurer les cours obligatoires d’informatique.
Après les visites dans les centres Carmélites, nous nous offrons une semaine de tourisme sur la route de l’ouest vers Morondava: paysages magnifiques parcourus sur des routes improbables, appelées “nationales” mais qui nécessitent de les affronter en 4X4. Visite d’Antsirabé, de ses “cyclo-pousses” et de ses vestiges nostalgiques de l’époque coloniale française. Descente en bateau de la rivière Tsiribihina avec bivouac sur la plage à quelques mètres des crocodiles. Visite des Tsingy, incroyable labyrinthe de roches ciselées par l’érosion. Découverte d’un village de pêcheurs à Morondava sur la plage duquel des pirogues sont alignées, prêtes à hisser leurs voiles multicolores. Nul besoin d’aller voir nos vieux gréements à Brest, ici la marine marchande est à la voile sur des vieux bateaux en bois. Partout des sourires d’enfants, un accueil chaleureux aux “Wasaha” que nous sommes. Un peuple sympathique et pacifique, comme resté au siècle dernier, bêchant la terre, poussant des charrettes à bras, gardant les zébus dans les champs, troquant chacun au bord de la route les maigres fruits de son travail quotidien. Partout la pauvreté, la débrouillardise, les petits travaux quotidiens qui permettent de subsister. Et au milieu des sœurs missionnaires qui semblent des rocs sur lesquels peuvent s’appuyer la population dès que leur équilibre fragile est emporté par la maladie, les cyclones, la misère sociale.
La troisième partie de notre voyage est consacrée aux Petites Soeurs Missionnaires de la Charité. De nouveau, nous sommes accueillis comme des” bienfaiteurs” alors même que nous sommes des serviteurs inutiles. Je dédie toujours ces moments de fête et d’accueil aux véritables donateurs du RES, souvent anonymes, qui n’écoutant que leurs cœurs et faisant confiance à ces sœurs qui consacrent leurs vies aux pauvres, permettent, à cette formidable chaîne de solidarité de pratiquer la Charité, gratuitement, sans contrepartie. L’aide apportée par les RES est insuffisante mais précieuse. Elle est surtout un signe d’espérance pour ces sœurs et ces pauvres. Elle dit que, dans ce monde brutal et égoïste, il existe des regards attentifs, des cœurs compatissants, des hommes et des femmes de Bien. Nous formons ainsi une chaîne solidaire, instrument de la Providence et donc signe pour les croyants de l’amour de Dieu.
Nous échangeons longuement avec Soeur Laurencia, Déléguée Générale à Madagascar, que nous avions reçue à Paris en juin pour une rencontre fraternelle avec quelques bénévoles du RES. Soeur Laurencia incarne parfaitement la vocation des Petites Soeurs Missionnaires de la Charité: Humilité dans leur service aux pauvres (“petitesse”) et esprit missionnaire cherchant inlassablement à développer de nouvelles activités au service de la population. Les projets sont nombreux. A Itaosy, dans la banlieue de Tana, les sœurs veulent construire un nouveau bâtiment pour donner aux jeunes des formations professionnelles leur permettant de démarrer dans la vie active: Cours de français, d’anglais, d’informatique, de cuisine, etc… Elles sont prêtes à accueillir des bénévoles qui souhaitent consacrer quelques mois à enseigner.
Nous visitons aussi le centre de Mandiavato, dans un village isolé dans la campagne. Ecole, dispensaire, maternité, 16 sœurs et novices travaillent quotidiennement pour soulager une misère rurale, dont elles nous racontent la réalité: La malnutrition des enfants, le manque de soin, les marches de plusieurs heures pour se faire soigner ou tout simplement pour aller à l’école. Le grand projet de la communauté est d’élargir la cantine scolaire pour accueillir tous les enfants de l’école, 10 mois de l’année et non plus seulement pendant la période difficile de mousson.
En effet, la cantine est un élément primordial pour lutter contre la pauvreté. Elle permet de combattre la malnutrition des enfants, de favoriser la scolarité dans les familles paysannes qui comptent sur leurs enfants pour les aider dans les travaux des champs et rend possible l’apprentissage des enfants. Le raisonnement est d’une cruelle simplicité: comment bien progresser quand on a faim ?
Nous voyons sur place les fondations d’un nouveau bâtiment pour accueillir cette cantine. Les sœurs n’attendent pas et comptent sur la Providence pour nourrir le plus d’élèves possible. Un potager, financé en 2019 par la Fondation “Bien Nourrir l’Homme” et le RES doit être renforcé également avec un nouveau système d’irrigation permettant de doubler la production actuelle.
Au cœur de cette misère, la Joie des sœurs de servir. Leurs sourires sont une invitation permanente à pratiquer la Charité. Elles expérimentent que c’est en donnant que l’on reçoit le plus. Quel témoignage pour mes enfants à l’aube de leurs choix d’adulte !
Pour couronner ces rencontres, les sœurs organisent une grande fête autour de nos 23 ans de mariage. Messe, intentions, banquet, danses et chants célèbrent la Joie simple et profonde de collaborer ensemble, quelles que soient nos vocations, pour servir les plus pauvres. “Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait” Mt 25,40.