Témoignages auprès des plus pauvres

Genevieve visite les soeurs et les enfants à Madagascar – Octobre 2019 :

“En immersion pendant 3 semaines, c’est mon 5e voyage à Madagascar et je ne connais rien en dehors de Vohipéno , mon point de chute au Foyer de Tanjomoha. Je décide donc de visiter le magnifique Parc de Ranomafana qui reste de toute façon  sur la route: prise de connaissance avec les Lémuriens et la très riche flore de Madagascar. Le guide Séraphin est aux petits soins, il arrive même à me faire découvrir un  Géko nocturne (il faut avoir l’œil pour le dénicher car comme le caméléon il prend la couleur du support sur lequel il est posé), le plus petit caméléon qui existe et bien sûr des Lémuriens encore à l’état sauvage, Dieu merci ! J’apprends avec étonnement que ces Lémuriens sont monogames !!! Nous parcourons 15 km dans la forêt secondaire et primaire, un véritable enchantement pour l’œil.

Départ le lendemain pour Vohipéno que je retrouve avec beaucoup de plaisir : des visages connus, des sourires…mais toujours autant de corps esquintés physiquement et psychiquement parlant. Le foyer du Père Emeric ne recueille plus les tous jeunes enfants handicapés qui sont envoyés à Andémaka à une vingtaine de km en brousse sur la route de Farafangana. Il faut savoir que 700 personnes dépendent de ce centre actuellement avec une petite centaine de nourrissons pour l’activité CRENAM à Tanjomoha, la rééducation kinésithérapique ne concerne que les jeunes à partir de 15 ans et les adultes : Viviane et Philomène (toutes deux malgaches) sont les aides kinés et travaillent avec beaucoup de sérieux à l’amélioration des patients qui leur sont confiés, pieds bots, membres amputés, et je suis surprise par le nombre  croissant de ces derniers. Je fais la connaissance de la nouvelle communauté de sœurs  « Filles de la charité » qui dépendent du foyer du Père Emeric. La sœur responsable et la sœur infirmière sont nouvellement nommées : comme toujours l’accueil est chaleureux et le fait que je sois parmi elles pendant plusieurs jours permet à une certaine complicité de s’instaurer avec à la clé une très belle relation de confiance !  Je peux créer des liens tout particuliers avec Sœur Marie Alice (la responsable) et Sœur Blandine avec qui j’ai beaucoup travaillé au dispensaire. J’admire leur long travail patient et leur solide  connaissance du terrain et de chacun ici ! Sœur Marie Alice m’a également conviée à une séance de caté au pavillon des tuberculeux : que de grâces et de sourires reçus ! Le mercredi est une journée que j’affectionne particulièrement au centre car c’est la distribution de lait, de riz et de farine de maïs : jour de pesée régulière pour les nourrissons et les enfants. C’est l’occasion pour moi de distribuer des sourires et des caresses et de discuter un peu avec l’aide de Robertine qui travaille au dispensaire et qui me fait office d’interprète ! Je détecte beaucoup de petits enfants  avec de graves malformations congénitales, des infirmes moteurs cérébraux, des retards de croissance importants dus à la malnutrition  et des bébés de 3 mois pesant tout juste 2 kg, un miracle qu’ils soient encore de ce monde.

Le lait fourni par le RES est une bénédiction et je crois qu’il faut vraiment rendre grâce car une solution est toujours trouvée d’année en année, même si la vision à long terme n’est pas possible !  Lors de la distribution des médicaments avec Sœur Blandine, je réalise que la malaria sévit actuellement dans la région : elle touche essentiellement les enfants. Là encore les médicaments restent une manne providentielle car les familles travaillant au centre ne paient pas.

Au Foyer du Père Emeric, je n’ai guère pu apporter mon aide d’un point de vue orthophonique car les cas présentés étaient quelque peu désespérés : entre autre, cette jeune fille de 13 ans née infirme moteur cérébrale, sourde-muette et aveugle de surcroît… Quand le sort s’acharne… Et puis il y a ce petit Augustin de 15 ans à qui je n’ai pu prodiguer que des massages au niveau facial et laryngé…Pas de langage, pas de parole, mais des sourires échangés…

Une autre congrégation des FDC  à Vohipéno également, mais totalement indépendante du Foyer Tanjomoha : le centre de Lucien Botovasoa. Je revois avec beaucoup de joie Sœur Marie Clotilde (responsable de la communauté) et retrouve Sœur Nordine, la sœur infirmière fraîchement arrivée et que j’avais connue en 2016 à Tana : elle m’avait permis de rencontrer le Pr RAKOTOFANOMEZANTSOA  ORL à l’hôpital militaire de Tana  et avec qui je m’étais entretenue pour lui parler de mon étonnement  de l’absence de formation orthophonique à Madagascar. Il m’avait précisé à l’époque que c’était sa préoccupation Première, mais après m’être renseignée, rien n’est encore prévu à ce niveau, et pourtant, ce serait tellement utile !

Sœur Nordine a un gros projet de mise en place d’un laboratoire d’analyses pour détecter la Tazomoka assimilée au Paludisme, la fièvre typhoïde, la drépanocytose et la tuberculose qui fait encore bien des ravages ici. Elle travaillerait avec les médecins de l’hôpital d’Henintsoa (elle a déjà tissé de solides liens avec eux) qui assureraient une permanence une fois par semaine dans un premier temps. Il faut savoir  que les infirmières à Madagascar ont le droit de prescription, ce qui permet aux familles d’économiser une consultation chez le médecin, sachant que cette dernière  coûte 30000Ar (environ 7,50€) : totalement inaccessible voire inenvisageable  pour la grande majorité  des familles ici ! Ce laboratoire ouvert à tous permettrait de financer également les médicaments pour ceux qui ne peuvent pas payer et ainsi de relancer le dispensaire qui était au point mort depuis 2 ans.

Sœur Nordine est arrivée en août dernier et il y avait 2 à 3 consultations par jour, aujourd’hui, elle en assure une vingtaine. Elle me soumet ce projet afin de solliciter le RES : elle a déjà obtenu toutes les autorisations  pour l’ouverture, il manque la signature de la sœur provinciale qui ne saurait tarder (la demande a été faite). Un tel projet est très onéreux, mais il rendrait tellement service…

Je me rends également à l’hôpital d’Henintsoa à la demande de Sœur Léa : une femme de 60 ans a fait un AVC il y a deux mois et est nourrie par sonde nasogastrique. Je suis dans mon domaine de prédilection ! Je décide après examen de lui faire retirer et de procéder aux premiers essais alimentaires par voie orale ; tout se passe au mieux et je lui donne les exercices à faire pour la continuité des progrès. Une semaine après, tout est rentré dans l’ordre et nous la ramenons chez elle à une dizaine de kilomètres de l’hôpital : c’est une belle victoire pour elle et le sourire est revenu sur son visage ainsi que sur celui de son mari. Belle récompense ! Sœur Léa me demande également de consulter une petite orpheline de 3 ans qui ne parle pas. A priori rien de bien sérieux après l’avoir observée en situation de jeux. Le personnel fait tout à sa place et devine la moindre de ses attentes. Pourquoi se fatiguerait-elle à parler ? Les conseils donnés à la nourrice portent leurs fruits car une semaine après, la petite parle et elle a du vocabulaire !!! Ce sont des petits miracles qui me font penser qu’il est grand temps de créer au moins une école d’orthophonie à Madagascar ! Les études durant 5 ans, il est grand temps de se pencher sur cette question, car avant que la première promo ne sorte…

Pour ces deux centres, de Vohipéno où la pauvreté est extrême, la demande des sœurs reste la même : la période de soudure pour le riz. Il y en a deux dans l’année : en février/mars/avril et septembre/octobre/novembre. Pas de stocks, plus rien, y compris pour le lait en ce qui concerne la communauté de Lucien Botovasoa. Et puis, au bout d’un certain temps, les sœurs de LB me confient qu’elles ont du mal à se soigner et le suivi rigoureux de leur traitement n’est pas toujours assuré…

Il m’a été confié un nouveau centre en tant qu’ange gardien, celui de Manakara avec Sœur Emérentienne. J’avais fait sa connaissance avec François et je la retrouve avec beaucoup de plaisir. Je fais également la connaissance de Mr Abraham qui gère parfaitement le stock de lait. François a visité le centre lors de son séjour au printemps dernier, la passation est au top ! Merci à lui pour le travail accompli avec toujours autant de sérieux et de gentillesse !

Puis visite des deux communautés d’Andemaka  à 20 km de Vohipeno : il faut 2 heures pour faires ces 20 km, c’est vous dire si la population là-bas est isolée et elle est totalement coupée du monde en début d’année…La pauvreté y est encore plus importante. Il existe un total remaniement de ces deux communautés que j’avais visitées l’an passée (elles sont distantes de 1 km). Il n’existe plus qu’une seule responsable, Sœur Marie-Josèphe, qui a eu la gentillesse de s’arrêter à Tanjomoha pour se présenter alors qu’elle partait en retraite à Fianarantsoa. Je passerai 2 jours là-bas et reste très inquiète pour ces sœurs car il n’y a eu aucune passation. Sœur Madeleine qui reste seule à Marie Immaculée me semble en plein désarroi car elle est responsable de la gestion des frais scolaires et n’a aucun papier concernant les années précédentes… De même, les projets établis l’an passé n’ont pas abouti… Il s’agissait essentiellement de mettre un système de pare-foudre (matériel fourni) pour protéger les panneaux solaires …Le matériel est resté introuvable, et la mauvaise saison arrive à grands pas… J’espère pouvoir contacter Sœur Marie-Josèphe par mail pour lui en parler….De plus situation très précaire car il n’y a plus aucune réserve de lait et la rentrée scolaire est prévue dans la semaine de ma visite. Les effectifs ont quasiment doublé car les sœurs ont ouverts la cantine scolaire aux écoles environnantes tant la situation est dramatique pour la population.  Au Foyer des handicapés, je retrouve Sœur Honorine qui s’occupe de la rééducation kiné des jeunes enfants. La rentrée des classes n’a pas encore eu lieu : je vois très peu d’enfants…

Il n’y a qu’une petite dizaine d’enfants, orphelins et donc internes et à charge des sœurs : la plupart sont appareillés au niveau des membres inférieurs et le mental ne suit pas toujours…Je lis une profonde tristesse dans leurs yeux. Sœur Honorine qui me reçoit pour la visite me précise que l’aide apportée par une association italienne en ce qui concerne la fabrication des chaussures s’amenuise d’années en années… Au foyer les sœurs sont au nombre de 4, donc cela fait 6 sœurs au total pour les deux centres quand elles étaient encore 10 l’an passé…

A Andemaka, j’ai la très grande joie de revoir Rosina que j’ai suivie deux ans de suite à Tanjomoha : elle a 36 ans et a fait un AVC avec hémiplégie droite et perte de la parole. Avec une volonté tenace, elle a réussi à obtenir son diplôme de couturière au centre du Père Emeric, elle marche –avec beaucoup de difficultés- avec des béquilles et s’exprime. Elle a 3 enfants de respectivement 12, 8 et 3 ans… Le Seigneur a mis cette jeune femme sur ma route et je me suis promis de ne pas l’abandonner…Je me souviendrai toujours de sa joie lors de nos retrouvailles : elle m’appelle « maman ». Je sens une complète détresse chez elle. La paroisse de Saint Nauphary où j’habite avait financé la construction de sa maison l’an passé : il manque 2 portes et une fenêtre pour qu’elle puisse s’y installer ainsi qu’une table de couture pour ouvrir son atelier de couture. Actuellement, elle gagne 2000 Ar par jour, mais elle peut tout  aussi bien  ne rien gagner du tout : un kilo de riz coûte en moyenne 2080 Ar et un œuf coûte en moyenne 500 Ar : on ne peut que comprendre sa détresse ! Quant aux frais d’écolage pour ses enfants, elle ne peut évidemment pas assumer. Je fais confiance, les solutions en France seront trouvées et je charge l’école de menuiserie de  Tanjomoha d’assurer les travaux pour terminer les huisseries et la fabrication de la table.  Rosina a réussi à m’écrire une lettre très poignante comme chaque année.

Mon voyage s’achève : je ne remercierai jamais assez toutes les sœurs rencontrées, de la confiance qu’elle m’ont accordée, de leur accueil  et je voudrai mettre en avant leur mission auprès des plus pauvres et des laissés pour compte. Elles m’ont toutes chargée de dire un grand MERCI  au RES pour l’aide apportée au niveau du lait et des médicaments bien sûr, mais aussi pour le soutien financier dans tous leurs projets ponctuels ou récurrents. Que Dieu les préserve, et prions pour qu’il y ait un réel éveil et réveil de conscience des dirigeants au niveau mondial…

Geneviève BOUDARD